Fallait-il donner un tour de vis au crédit bancaire ?

Face au risque d’emballement du crédit constaté pour janvier 2019, le Haut conseil de la stabilité financière, l’Autorité macro-prudentielle française vient de prendre une mesure visant à freiner le cycle financier. La Fédération bancaire française, syndicat professionnel des banques, a aussitôt manifesté son désaccord. Selon elle, cette décision ne serait cohérente ni avec politique monétaire de la BCE, ni avec l’orientation du gouvernement français. Qu’en est-il ? Points de repère sur une polémique.

 

Présidé par le Ministre de l’économie et des finances, le Haut conseil vient en effet de décider, le 18 mars 2019, d’un relèvement de 0,25 % à 0,50 % du « coussin contracyclique », consistant en un supplément de fonds propres (ou de capital) que les banques doivent constituer en regard de leurs risques (crédits et autres engagements). Le cadre réglementaire, rappelons-le, est dicté par le dispositif international dit de Bâle III, transposé dans l’Union européenne par le « paquet » CRD IV, du nom de la directive correspondante.

 

De prime abord, on peut s’étonner de cette mesure, au vu d’une conjoncture économique hésitante. La mesure du Haut conseil tend en effet à ralentir, un peu, la distribution du crédit. On relève au passage que l’usage qui est fait de l’instrument contracyclique reste fort modéré, puisqu’il se limite à 0,5 % des risques pondérés, tandis qu’il peut être relevé jusqu’à 2,5 % et même plus si nécessaire. Le régulateur motive notamment cette mesure par la croissance soutenue du crédit bancaire aux entreprises et aux ménages, (+ 6 % sur un an en janvier 2019) et par le niveau élevé de l’endettement privé (133 % du PIB à la fin de 2018). Dans ces conditions, l’expansion du crédit, à un rythme bien supérieur à celui de la croissance, pourrait entraîner la formation de bulles spéculatives conduisant à des crises financières, selon un schéma analogue à celui de la crise de 2008, présente dans tous les esprits. On observe, depuis trois siècles, que les crises financières sont alimentées par le crédit aussi sûrement que l’incendie par le combustible.

 

Dans ce contexte, ce nouvel outil, qui joue un rôle d’amortisseur du cycle financier, est particulièrement bienvenu, notamment dans la zone euro, car il permet de moduler la pression réglementaire en fonction des conditions économiques nationales. Il permet ainsi aux autorités nationales de la zone euro de s’affranchir quelque peu des contraintes de la politique monétaire unique menée par la BCE. Celle-ci peut être porteuse d’effets négatifs car elle s’applique uniformément à des pays soumis à des conjonctures différentes : actuellement, le crédit bancaire dans la zone euro est en croissance de 2,8 %, contre + 6 % en France, soit plus du double.

 

Une telle prise en compte par le Haut conseil de la particularité française n’entre nullement en contradiction avec la politique monétaire très accommodante de la BCE. Le régulateur s’inscrit bien dans l’esprit du dispositif réglementaire post-crise pour les banques. Celui-ci permet un pilotage fin des conditions financières nationales pour éviter une surchauffe du crédit sans entraver la nécessaire croissance. On doit se féliciter de voir la mise en œuvre de ce nouvel instrument, dont certains craignaient encore récemment qu’il ne soit ignoré par le régulateur national sous la pression des professionnels.

 

Si, par la voix de leur Fédération, les banques renâclent devant cette mesure un peu pénalisante à court terme, elles devraient songer qu’elles ont tout à gagner à un exercice plus sûr de leur métier grâce à ce nouveau pilotage dont le but est de prévenir la réapparition d’une crise financière telle que celle dont elles viennent de faire l’amère expérience.