Autour des agrès

Snapshot

 

Cheveux noués en catogan derrière la tête, assez brun, en short, il a des mitaines aux mains, des bracelets de cuir aux poignets, avec sur le torse une sorte de gilet de chasse noir en toile épaisse comportant de nombreuses poches. Il ressemble très fort à Rambo. L’effet est accentué par la sensible voussure des épaules de ceux qui forcent sur la musculation et par la démarche qui paraît vouloir marteler le sol. À chaque pas alors qu’il tourne autour des agrès, il souffle bruyamment pour récupérer. Non, le tableau n’est pas serein. J’évalue la musculature des bras, mise en valeur par le débardeur porté serré. Solide, très solide. Elle a été travaillée de longues années, à partir d’une charpente somme toute plutôt moyenne. Il a dans les quarante-cinq ans. Je viens d’arriver à vélo, je le salue, il me répond par un laconique coup de tête et une onomatopée qui découvre une dent couronnée de métal. C’est la seconde fois que je le croise. Un jeune sportif d’origine indienne, à l’air assez doux, s’entraîne à la boxe française. Rambo s’approche de la barre fixe, y place ses mains, paumes vers lui. Il va donc effectuer une série de tractions. C’est sûr, il va tenter une série de vingt. Mais je le vois peiner, il ne se hisse que très, très lentement. Il se limite à cinq tractions. Il me faut une bonne seconde pour comprendre que son gilet noir, muni de nombreuses alvéoles, est sans le moindre doute largement lesté. C’est évidemment ce qui lui donne cette démarche si lourde et ralentie. Il a introduit, avec un soigneux équilibre, entre l’avant et l’arrière, la droite et la gauche, des plaques de métal dans son gilet. Peut-être pour cinq, huit, dix kilos. Je saute pour attraper la grande barre et y faire, ma foi, le seul exercice de modeste voltige que je sache exécuter. Je l’avoue, je m’applique, j’ai perçu du coin de l’œil qu’il s’était arrêté pour m’observer. J’achève le mouvement par une sortie, banale mais soignée, sachant qu’il n’en perdra pas une miette. Bonne récupération au sol, talons presque joints, les deux bras ramenés le long du corps.

  • Pas mal pour votre âge !

Ce n’est pas le jeune Indien, c’est Rambo. Sa voix n’est pas sympathique. Mal à l’aise, je le fixe, sourcil interrogateur, comme si j’avais mal entendu, pour le forcer à répéter, et trouver peut-être le temps d’une réponse. Nos regards se jaugent un instant.

  • Pas mal pour votre âge ! Répète-t-il, avec une pointe de défi.

Quelqu’un, quelque part au fond de moi voudrait sans doute lui claquer la gueule. Mais bon, il est costaud. Je cherche, ne trouve fichtrement rien à dire. Il y a juste un son, Hhein!, qui sort comme un hoquet-réflexe par mes narines, entre dépit et dérision, dans une brusque expiration. J’enchaîne par un Au revoir, rapide et sec, qui inclut l’Indien, en remontant en selle un pied en appui sur la pédale. Sans doute suis-je trop susceptible. Qui sait, peut-être, voulait-il à sa façon me faire un compliment…