Les soucis de monsieur Billaud

Dans le crachin et la grisaille, tu rencontres, ce matin, ton voisin, monsieur Billaud, au bas de ton immeuble. Il promène son chien. C’est un petit homme, courtois et réservé, un peu triste. Chaque matin, il fait ainsi le tour du pâté de maison. De couleur fauve, son chien, lui, est exubérant. Lorsque tu les croises, il vient se frotter à toi, sans agressivité, tout en exécutant sur place un staccato frénétique de ses quatre pattes sur le macadam. C’est peut-être un Brachet autrichien à poils ras, ou ce qu’on appelle un chien courant. Ancien cadre de la Banque parisienne d’escompte et de dépôts, monsieur Billaud s’est mis à investir en bourse, pour s’occuper à son bureau, alors qu’en fin de carrière on l’avait mis au placard. Il touche maintenant une confortable retraite, tout en poursuivant ses opérations boursières. À l’occasion, nous parlons actions, second marché. Il évoque les valeurs moyennes qui marchent, il aime bien les foncières, pour leur rendement.

Après les salutations d’usage et quelques commentaires consensuels sur le temps maussade, qui de plus s’est rafraîchi, monsieur Billaud a pris ce matin, une expression concentrée, un peu grave.

-         Vous voyez, monsieur Penouel, te dit-il…

-         Oui, monsieur Billaud…

-         Je ne sais plus quoi faire !

-         Mm ?

-         Oui, en ce moment, les placements monétaires ne rapportent rien, à cause de la politique de taux zéro, et même négatifs ! de la Banque centrale européenne… les obligations ne donnent pas de rendement… et regardez la bourse, pas de tendance depuis des mois et maintenant, elle commence à plonger, le CAC est à 4.700…

-         Ce n’est pas faux…

-         Vous voyez, monsieur Penouel, reprend-il, être pauvre, c’est avoir un problème...

Et là-dessus, monsieur Billaud te jette un regard en coin. De sa main fermée qu’il interpose entre vous, il dégage l’index et le majeur en les dressant en forme de V, entre les branches duquel son œil te fixe :

-          … mais être riche, monsieur Penouel, dit-il en hochant la tête, c’est avoir deux problèmes !

Un instant, tu scrutes l’œil de monsieur Billaud, entre ses doigts en fourche pour y déceler, peut-être, une lueur facétieuse à l’énoncé de ce propos surprenant. Sait-on jamais ? Mais non, le regard reste un peu morose.

L’un des problèmes de monsieur Billaud, tu l’as compris, c’est qu’il ne sait pas quoi faire de son argent. Quant au second, il ne te l’a pas confié. Peut-être pensait-il à la hausse de la CSG, ou à l’impôt sur la fortune immobilière. Il est reparti avec son chien, son air triste et ses deux problèmes. Soudain, une vision effarante te traverse l’esprit. Tu vois tout à coup monsieur Billaud débouchant de la place de la Concorde, un gilet jaune sur le dos, son chien à son côté, marchant droit sur l’Élysée.

Janvier 2019