Scène de la vie quotidienne

 

Snapshot

 

Juin 1989.

Il est douceâtre et tiède, endormant aussi, cet état sans illusions. Une fièvre légère, la vague envie de ne plus exister. Une sortie d’aboulie, de goût pour l’hibernation morbide. Pendant des heures, pas un mot à ta compagne. Entre elle et toi, tu interposes un mur d'indifférence affectée, ou de haine glacée, tout en absence.

 

À sa demande, tu as quand même consenti, hier soir, à te rendre te rendre à une petite soirée. Ils s'agitaient. Tous. Une jolie Polonaise, dans sa robe de velours noir, très blonde, un peu éméchée, te disait que ton activité d’expert auprès du mouvement syndical, cela s’apparentait à celle de Solidarnosc, mené par Lech Walesa. Elle a prononcé ces noms, comme des mots de passe qui devaient faire s'évanouir toute objection, toute méchanceté. Deux minutes après, tu la vois fondre sur le gâteau à la fraise. En pantalon de cuir marron, un Argentin massif tentait des poses en dansant, sans parvenir à redresser son dos ni à décoincer ses épaules. Comme un boxeur il semblait travailler au corps sa partenaire en lui martelant l'estomac au ralenti. Chacun s’esclaffe de ses bons mots. Légère comme un gaz, elle s'infuse partout, ta rancœur. Tu caresses l’idée d’un voyage lointain. La Bolivie. Mais ce ne serait finalement que pour ajouter un élément à ta notice nécrologique. Ou bien te démontrer à toi-même que tu n’as pas vieilli, toujours partant pour les expés, ou autres fariboles !

 

Belle gueule ce matin ! Cernes blanches sous les yeux, ton regard à demi assoupi a pris un air mauvais. Sans doute la scène du mois dernier avec elle. Comment dites-vous ? Un problème sexuel entre elle et toi ? Comment avez-vous deviné ? Peut-être, après tout, mais il n’en reste rien, ou presque. Comme un peu de rhumatisme, une petite douleur d'arthrose…

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