Chronique pour un procès

 

 

Roman

Elian, l’un des deux protagonistes, ouvre mon roman sur l'annonce d'une vengeance. Son comportement tyrannique a provoqué le départ de Frédéric, à l'issue d'une liaison. Dans son dépit, Elian a volé le journal intime de son compagnon.

Fuyant la rancune d'Elian, Frédéric nous fait traverser, à vive allure, les années 80 : monde clos des coopérants, mythes étiolés du tiers-mondisme, montée de l'intégrisme musulman, milieux politiques où sévissent d'autres dogmatismes... Paysages urbains, portraits de femmes, situations sociales hallucinées jalonnent cet étrange parcours.

D'un obstacle à l’autre, Frédéric finit par déceler un même piège dans nos institutions. Son engagement se transforme en quête philosophique. Sa fuite ultime, au cours d'une scène finale paroxystique, constitue l’énigme que j’invite le lecteur à résoudre. Il verra que les procès se retournent souvent contre les juges. Cette chronique devient acte d’accusation contre l’un des tabous majeurs de notre société.

Pour plonger dans l’univers intérieur des personnages, l'auteur a choisi un récit à plusieurs voix, chevauchant délibérément les frontières des genres.

Chronique pour un procès est un roman publié aux Editions La Bartavelle. 1996, 225 pages.

Lu dans la presse

On voyage, on vit, on aime, on subit des humiliations, cette Chronique pour un procès est un roman chargé en émotion, en sentiments généreux ou perfides, une quête pour l'un, une traque pour l'autre. Mais il arrive que les proies échappent aux prédateurs...

Serge CABROL, Encres Vagabondes, mai 1997

A la question "A partir d'un journal intime que faire ?", qui était l’objet de notre table ronde de 1993, Chronique pour un procès apporte une réponse en surfant entre autobiographie et roman.

Le Petit Journal de l'Association pour l’autobiographie, février 1997

(...) son premier roman, Chronique pour un procès, (...) raconte la destruction de son héros par une organisation dogmatique, et une vaine quête du Graal, de l'amour et de l'absolu, dans le Paris des années 80.

Barbara BERNARD-GIBBS, RFI, février 1997

Dominique Perrut fabrique un astucieux montage romanesque; le but avoué est d'offrir au lecteur mieux que "le maigre plat du jour de nos romanciers prétendus noirs" en présentant un "crime plus que parfait". Enfoncée la Merteuil. (...) L'intrigue et les enjeux restent ouverts, en un jeu du "centre" et du "seuil" souvent joué au XVIIIème siècle. (...) Tout cela est fort stimulant, (...) un peu décadent dans le ton et dans le jeu de rôles, mais a le charme des pastiches ambigus.

Elisabeth SIRE, La Faute à Rousseau, n°16, octobre 1997

 

Chronique pour un procès

 

Extraits des chapitres 1 et 2

Elian

On m'a parlé récemment d'un petit square, tout au bout de l'Ile Saint-Louis. Assez chaud, paraît-il, dès que la nuit tombe. J'y suis allé, hier. Je n'ai pas été déçu. A l'abri d'arbres respectables, dans cet espace triangulaire entouré de buissons, quelques garçons se promenaient, sérieux et indolents. Selon de larges arabesques on se courtournait, se détournait, s'observait, se frôlait. De brefs coups d'oeil ponctuaient le silencieux ballet, quand deux d'entre eux se faisaient face, une fraction de seconde. De temps à autre, sur un imperceptible signe de tête, deux types disparaissaient derrière les fourrés. Deux ou trois minutes plus tard, ils émergaient pour s'éloigner, chacun de son côté, épaules rentrées, le pas pressé. Dans l'amour entre hommes, on ne s'égare pas dans de tortueux préliminaires. Foin d'amour courtois ! J'ai pu vérifier que les buissons ménageaient un espace suffisant pour l'exercice. A deux reprises, cela permet de changer les rôles. Certains s'y refusent, prétextant je ne sais quelle virilité, ou dignité. Ca les regarde. J'ai appris, moi, à ne pas bouder mon plaisir, et j'en suis fier.

Rue Beautreillis, à deux pas, on m'a ensuite servi un dîner correct à la Bergerie, au milieu de jeunes gars, athlétiques pour certains. Le cuir noir y était fort bien porté. Puis, désoeuvré, j'ai repris le chemin de l'Ile Saint-Louis, pour flâner un moment le long des quais. J'ai pensé aux évocations de balades dont Frédéric émaillait ses journaux, et dont nous avions parlé, parfois. Puis, je me suis décidé à aller voir l'un des classiques du Champollion, "Le crime était presque parfait", cet inévitable d'Alfred Hitchkock. Nostalgie pour le cinéma de mes années d'étudiant ? Plaisir de retrouver les acteurs ? Attrait pour ces films devenus naïfs, désuets, à force ? Je ne sais ce qui l'a emporté. Mais tout à coup, au lieu du charme escompté, devant l'écran, ces énigmes cérébrales, chambres closes, alibis reconstruits, bandes mouchetées et tout le toutim, m'ont paru tout juste bonnes à corser le thé des mammies, découvrant avec une horreur ravie la violence tapie dans les haies taillées de leurs cottages.

L'obsession du crime parfait ! Manie de nos chers auteurs du vieux continent ! C'est peut-être cela qui me décide à vous livrer aujourd'hui mes confidences. En fait de vengeance passionnelle, on peut faire mieux que le maigre plat du jour de nos romanciers, prétendus noirs. Bien plus excitante, la manipulation de la victime, quand on joue sur la connaissance intime de ses faiblesses, de ses blessures non refermées ! Bien menée, cette action est plus efficace. Plus élégante aussi que tous ces besogneux programmes de meurtres, certes ingénieux, mais qui ne reposent que sur de grossiers artifices. J'affirme qu'on peut, selon ma façon, aboutir à de vrais crimes parfaits. De plus, impunité garantie ! Il faut aussi compter l'avantage non négligeable consistant à pouvoir faire le récit de son forfait. Peut-être au fond ai-je inventé le crime plus-que-parfait. Je me vante, dites-vous ? Non pas : ce que je vais vous montrer n'appartient nullement à l'univers de la fiction. C'est en tous points conforme aux faits. Non seulement j'arrive à mes fins, mais j'ai décidé de vous dévoiler tout cela. "Mais alors, me direz-vous, les yeux écarquillés, comment pouvez vous raconter un tel meurtre ? La police, la justice vous attendent au tournant !" Pas du tout ! Je ne suis pas féru en matière juridique, mais il y a une notion que l'on appelle la prescription. Par ailleurs, il me suffirait de dire, si l'on voulait me mettre en cause, que tout cela est pure invention, contrairement à ce que je viens d'affirmer.

- Mais alors, vérité ou fiction ? reprenez-vous.

Jugez-en par vous-mêmes : c'est Frédéric, l'objet de ma vengeance, qui va lui-même vous livrer les faits. Une intuition, dont je me félicite aujourd'hui, m'a conduit à m'approprier ses journaux intimes. Les premiers, je les ai conservés lorsqu'il m'a quitté, brutalement, comme vous le verrez. J'ai d'abord décidé d'oublier de les lui rendre. Puis, j'ai prétexté leur perte. Les derniers, je les ai dérobés lorsque j'ai usé d'un stratagème pour le revoir. L'auteur y fait, pratiquement, le récit de sa propre fin. Que peut-on souhaiter de mieux ?

 

Frédéric

7 juillet 1978. Paris

Inconnu, lancinant, le désir se résout en une morne beuverie aux sursauts dérisoires et affadis. L'été monte vers son zénith, les notes dénotent, se rient de ma voix, se rient de mes doigts. L'errance, ces départs et ces retours. Les larmes à fleur de nerfs des jours durant, l'émotion voyage dans mon corps. Cette voix qui ne parle plus, et murmure pourtant, tout au fond, avec une déraisonnable insistance. Les gens me jettent dehors, sous la pluie.

La rue de Ménilmontant. J'y reviens parfois. Parfois en hiver, avec le vent glacé. Je marche vite et me retourne, pour voir tout en bas de la rue désertée de ce dimanche, la ville perdue dans une brume épaisse. Parfois c'est l'été, les fenêtres ouvertes aux ritournelles des radios. Je pousse la porte de fer, passe entre les poubelles. Furtivement je m'approche. La fenêtre du petit studio où j'ai vécu la troisième année de ma vie commune avec Julieta est ouverte. Nous avions le projet de partir vivre sous les tropiques, à Cuba, son pays. Pendant l'été, c'est vrai, un jour comme aujourd'hui, nous serions restés tout le jour, comptant les heures, nostalgiques tous deux, souriant tristement. C'est vrai, quand l'été arrivait... Mais tout cela fut absurde, définitivement.

C'en est fini de nos amours parjures et de nos passions risibles. Deux valises et un projet plutôt que sérénades et larmes. Le soir revient, le ciel est rouge. C'est toujours ta voix. Tant de routes. Me bercerais-tu, rien qu'un moment pour oublier cette infâme migraine ?

 

16 juillet, Lille, hôtel Continental

En entrant dans la chambre, je vois ma règle à calcul près du tricot de Louise-Anne. Elle l'avait emmenée pour compter les mailles. Sur la place, en bas de l'hôtel, les freins grincent, les voitures accélérent. Le soleil est encore haut.

Alors que nous sommes allongés cette après-midi, la pluie vient frapper, régulière au carreau, parmi le grondement des camions. Sur la table, du pain,  un fromage, mon tabac à rouler, un livre, des papiers. Dehors, la tiédeur grise de ce dimanche. Au poste un morceau de jazz. Le cahier ouvert où de temps à autre je note une phrase ou deux. Le livre de Jack London, Le cabaret de la dernière chance, autobiographie d'un alcoolique, que je termine. La douche lentement prise en me lavant les cheveux. La promenade, tout à l'heure. Malgré moi, mes pas me ramènent vers les lieux où j'ai laissé des souvenirs. Je suis passé dans ce même jardin, à Lille, il y a deux mois avec trois québécois, lors d'un stage précédent. C'était un dimanche. Disposés en carré nous avons joué au frisbee. Ciel bleu, herbe verte. L'herbe est roussie, aujourd'hui. Où sont-ils passés, ces compagnons ?

Exaltation et regrets tour à tour m'accompagnent dans les villes, à travers les journées de cet été. Emporté par le vent, ne sais où. Etranger, je considère la vie des gens, les routes, les villes. Tendre ou amer, un refrain vient se coller à ces jours... Je déambule dans une curieuse incohérence et me demande quelle vérité cela recèle. Chansons éteintes. Leur mystère, leur magie évanouis. Les nuages sortent d'une peinture de David. Ne disent rien malgré l'or pâli, et le mauve. Est-ce manie  que de vouloir cultiver cette perméabilité comme moyen d'atteindre des révélations? Et celles-ci, illusoires, ou bien essentielles ? Que signifie cette divagation ? Qu'a-t-elle à voir avec la vie d'un mineur, le différend intersyndical ou la crise de l'Occident ?