La mode actuelle des recueils de nouvelles standardisées recèle un avantage incontestable. Celui de fournir au lecteur un produit préformaté, prédécoupé, parfaitement prévisible et dont les tranches correspondent exactement à la durée de quatre stations de métro à Lille, d’un parcours en tramway à Strasbourg ou d’une pause-café dans une sandwicherie de La Défense.
Si je lis volontiers certaines de ces textes, je ne m’y retrouve pas vraiment. Chacun de mes brefs récits, chaque nouvelle a donné lieu chez moi à un cheminement singulier.
La première que j’ai choisie, Le jeu de clés, retrace une situation, au fond banale, mais qui provoque très vite, en quelques minutes, un état d’obsession chez le personnage-narrateur, risquant de conduire à tous les dérapages. C’est l’intensité même de la tension qui, cette fois-là, a forcé pour moi, seule issue, une écriture différente, soudaine, inattendue. De façon saisissante, la fureur a dicté chacune des étapes d’une iquiétante glissade, dont je me suis attaché à transcrire l’exact enchaînement. Celui-ci m’a poussé jusqu’à la dernière phrase du récit, qui en rejoint les premiers mots, et marque du même coup le point final.
Le second récit, Chambre 812, dont je ne livre ici qu’un extrait, est née de circonstances différentes. C’était une longue marche, plusieurs semaines, dans des montagnes lointaines, sur un autre continent.
Dans l’isolement, au rythme des pas, des réminiscences émergeaient. Tournant autour d’époques différentes, mes rêveries revenaient, comme aimantées, vers une de mes chambres d’étudiant, alors que j’avais repris des études. Ensuite, j’avais réécrit ces notes. Puis, au milieu d’un marasme, quelque chose s’est imposé. Intercaler des passages du journal personnel de l’époque où j’habitais cette pièce. Juxtaposition des deux écritures, nées de périodes différentes. Comme le surgissement des reliefs avec les stéréoscopes, cela devait créer une plongée dans le temps. En cherchant une forme combinant deux registres, j’ouvrais aussi la route à l'écriture de Patria o muerte, avec ses registres alternés.